Elle avait peut-être bougé, ou bien c'était lui. Difficile de déterminer précisément ce qui l'avait éveillé. Il n'avait pas envie de se remuer tout de suite, envie de profiter encore un peu de la douce torpeur qui ne le laissait qu'à peine conscient de la présence de celle qui, lentement, prenait de plus en plus de place dans son quotidien.
Les odeurs de la nuit participaient à cette agréable léthargie dans laquelle il se laissait flotter encore un peu. Il se rendit compte qu'il l'enlaçait toujours. Ils n'avaient presque pas bougé, accablés de fatigue. Elle s'était juste un peu tourné sur le ventre et il avait vaguement suivi. Son visage était enfoui dans la tignasse courte, le nez dans la nuque de celle qui partageait ses nuits : il respirait son odeur.
La conscience de son propre corps se précisait. Sa main qui, quelques heures plus tôt, l'avait enlacée étroitement s'égarait maintenant sur la courbure de la hanche. Il la bougea délicatement. Pas de réaction. La respiration de sa douce était calme et légère, régulière. Très doucement il fit glisser ses doigts sur le satin de la chemise de nuit, jouant des plis qui se faisaient et se défaisaient comme autant de vaguelettes sur ce corps aux charmantes proportions.
Il sentait monter en lui une puissante vague qui n'avait pas sa place, animale. C'était bien trop tôt, bien trop rapide. Le souvenir de son enchanteresse était encore si vif... Il avait peur. Une peur nouvelle qu'il n'avait pas encore éprouvée... Il craignait ce fantôme et mesurait un peu mieux l'étendue de sa crainte. Depuis quelques jours déjà il s'était efforcé de ne plus y faire allusion. Elle n'avait pas relevé, par pudeur peut-être ? Sans doute. Fallait-il lui dire ce qui le déchirait, combien il se sentait traitre à un souvenir ? Eprouvait-elle la même chose ? Etait-elle parvenue à se purger de ce malheur qui ronge la vie de ceux qui restent ? Le comprendrait-elle ? La parole pourrait-elle le libérer, les libérer ?
Il pressentait qu'il devrait s'en ouvrir. Elle avait tant de qualités et un coeur si ouvert, si plein de compassion et de compréhension. Plus que ça... elle voudrait probablement le savoir. Elle semblait si désireuse de lui venir en aide. Mais il peinait. Parler de lui ? Il avait toujours soigneusement évité autant que possible.
Ca n'était pas de son aide qu'il voulait. Savait-il seulement lui-même ce dont il avait besoin ? Saurait-il un jour l'identifier ?
Elle était si secrète.
"Elune, Elune,... quelle est cette nouvelle épreuve ?"